LE COLLECTIF FACE À L’ADVERSITÉ – Coup de projecteur sur Moonshine et OCTOV, deux collectifs de la vie nocturne de Montréal, résilients et inspirants

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Crédits: Stéphane Vaillancourt

Cette fois ça y est, le 12 mars « les activités de danse seront à nouveau permises ».

Mais qu’ont fait depuis tout ce temps les organismes pour lesquels la danse est le cœur d’activité? J’ai voulu me pencher sur les initiatives de deux collectifs emblématiques des soirées montréalaises qui, malgré la pandémie qui les a frappés en plein cœur, ont su rester debout et aller de l’avant avec cette question en arrière-plan :

Comment être résilient lorsque que ton activité principale s’arrête pendant 2 ans ?

J’ai rencontré Félix et Farrah, deux core-members de Moonshine, collectif inclusif mêlant global bass, electro-funk et afrobeat, et Bérénice, co-fondatrice d’OCTOV, représentant de la musique rave techno à Montréal. Deux collectifs aux univers musicaux différents mais aux nombreux points communs à commencer par leur année de naissance, 2014, et leur but de départ : combler un manque dans la vie nocturne montréalaise.
En 2020, la pandémie frappe, les mesures drastiques tombent et tout s’arrête. Pour Bérénice, le but premier d’OCTOV à ce moment-ci : « Ne pas mourir » et rester actif sur les réseaux sociaux. « Mais on a senti que la crise allait durer alors le collectif s’est creusé la tête pour proposer de de la nouveauté et garder le lien avec notre communauté. » Pour Moonshine, 2020 était une grosse année « On avait une grosse tournée européenne de prévue, on allait explorer de nouveaux projets et de nouveaux territoires » précise Félix et Farrah d’ajouter : « La pandémie ne nous a pas arrêtés. Hervé (*co-fondateur du collectif) et Félix diffusaient une belle dynamique au sein du collectif, à la recherche d’opportunités que cet arrêt soudain pouvait nous apporter. On a réorienté notre direction stratégique et on a mis plus d’énergie sur des projets annexes qu’on conservait depuis longtemps dans un coin de nos têtes, les événements étant toujours notre priorité – mais là, on avait de l’espace et du temps pour enfin les développer. »

Des projets plein la tête

Moonshine, ce n’est pas uniquement des soirées. C’est aussi un label, dont le 4e opus « SMS for Location » sorti en plein Covid (juin 2021) est d’ailleurs nommé aux Junos 2022 dans la catégorie « Album de Musique Globale de l’année ». Moonshine, c’est aussi une ligne de vêtements, dont Félix souligne fièrement l’avancée pendant la pandémie « On a pris le temps de professionnaliser notre approche et d’élargir nos commandes à l’international – on a une équipe super créative, du design aux matériaux, j’ai déjà hâte à la prochaine collection ! ». Moonshine, c’est désormais aussi de la production audiovisuelle. Le collectif finalise pour cette année un documentaire intitulé « Acte 1 : Zaïre Space Program ». Félix aime définir Moonshine comme « un collectif d’artistes qui raconte des histoires, la nôtre. La plupart des gens du collectif ont au moins une double appartenance culturelle. On a réalisé des rêves, comme partir enregistrer à Kinshasa ! Le Congo et le Canada sont les deux pays les plus importants dans l’histoire de Moonshine ». Lors de leur séjour au Congo en hiver 2021, Moonshine a participé à l’initiative System Restart de l’emblématique Boiler Room.
Dernier projet en date : le podcast « Moonshine Airways » en partenariat avec Grünt Radio. Félix explique la genèse du projet : « On en rêvait depuis longtemps, mais nous n’avions pas trouvé les bonnes personnes pour nous accompagner dans la production et Jean Morel, vieil ami de Moonshine, qui nous soutenait sur les ondes de Radio Nova en France à l’époque, nous a mis à dispo les ressources nécessaires et nous a laissé carte blanche ! » Avec NTS pour le soutien à la diffusion, Farrah et Hervé pour le hosting, « Moonshine Airways » est un podcast à l’image du collectif: bilingue, multiculturel, mondial, qui traite de musique, d’artistes et de créativité et met de l’avant la culture underground. Les épisodes à Marseille et Lisbonne sont déjà disponibles. Los Angeles et Kinshasa à venir. Pourquoi ces choix ? « Nous avons eu la chance de tourner dans ces villes en 2021 alors même qu’au Canada les salles de spectacles ont été fermées beaucoup plus longtemps qu’ailleurs » m’explique Farrah, « Le podcast continuera d’exister aussi longtemps que le collectif est sur la route ».
L’équipe d’OCTOV de son côté s’est creusée les méninges pour développer du nouveau contenu. L’année 2020 a été la phase d’essais-erreurs. Elle a mis en place RAVIN’, un streaming live de djs et vjs, et malgré le faible engagement de ce genre d’initiatives qui émergeait sur les plateformes numériques au printemps 2020, le collectif décide de persévérer. « Pour les artistes, c’est important » souligne Bérénice. OCTOV organise des conférences en ligne, en partenariat avec le collectif techno parisien POSSESSION et crée aussi une série de podcasts diffusée sur le Soundcloud d’OCTOV, « La communauté était curieuse et au rendez-vous, ça nous a redonné de la force ». Mais à la vue du contexte qui ne s’améliorait pas, la volonté était d’aller plus loin. Les djs résidents et toute l’équipe ont mis la main à la patte pour développer des idées inédites.  En 2021, le collectif dévoile Cadavre Exquis basé sur le jeu collectif du même nom dont le but est la création d’une œuvre collaborative. L’objectif : en 2 semaines, sortir un EP de 5 tracks, chacune composée de 3 segments réalisés par 3 djs différents à tour de rôle pendant 24h chacun. « À travers ce projet, on souhaitait reconnecter les artistes, leur donner une plateforme d’expression, faire jouer leur esprit créatif et faire naître des partenariats. » Le jeu a été ouvert aux djs du monde entier. Fort du succès de la première édition, le Volume 2 du Cadavre Exquis est déjà lancé, avec cette fois-ci l’intégration du Vjing ! L’EP et le clip sont prévus pour la mi-mai.
Crédits: OCTOV
Malgré leur pro-activité, la rengaine reste la même en 2022 pour ces collectifs : la pandémie a rendu les projections plus difficiles, fragilisant les projets plus ambitieux et coûteux. La structure financière des collectifs reste très précaire, les aides publiques n’étant pour le moment pas adaptées aux initiatives novatrices du genre.

Que reste-t-il des événements dans tout ça ?

 À l’annonce de la levée des restrictions sanitaires en novembre 2021, les deux collectifs ont été très réactifs pour organiser une soirée à leur image et tous deux ont eu l’immense surprise de retrouver leur communauté plus forte que jamais. Moonshine avait d’ailleurs été très conservateur au départ. « On avait peur que notre communauté soit dissoute – mais à la mise en vente tout est parti en 1h ! On a ajouté une 2e date le lendemain ! ». Même son de cloche que Félix chez Bérénice : « On a été sold out en 3h – du jamais vu ! On a compris que notre communauté avait grandi pendant la pandémie, c’était la première soirée OCTOV pour beaucoup de monde et on a voulu être à la hauteur de l’attente du public, on s’est dépassé – c’est la meilleure soirée qu’on n’ait jamais faite ! ».
Le retour à Montréal pour Moonshine a été d’autant plus fort après un an et demi d’absence sur la scène. Farrah précise : « Même si Moonshine est un collectif du monde, Montréal c’est la maison, le point commun entre nous tous. Il y a quelque chose de très pur dans la façon dont on fait les choses ici. » et Félix  d’enchaîner : « L’énergie de Montréal n’est pas comparable, on retrouve tous ces visages qu’on aime, tous ces gens qui nous suivent depuis toutes ces années. Il y avait ce soir-là une euphorie, une émotion palpable. C’était magique ». Les doutes de Bérénice se sont estompés : « On avait une appréhension d’avoir perdu la main, mais ça a été merveilleux et notre flamme a été reboostée pour continuer ». Mais l’espoir fut de courte durée, un mois plus tard, tout referme. « L’arrêt a été brutal » me confie Félix. Les reports et annulations de dates ont repris avec amertume. Depuis quelques semaines, Moonshine en live a enfin redémarré. C’était d’ailleurs de Londres, première des cinq dates de leur tournée hivernale (hors Canada) que Farrah et Félix ont répondu à mes questions. Pour OCTOV par contre, leur évènement de février à Montréal a de nouveau été reporté, pour décembre. D’ici là, le collectif se concentre sur des initiatives mettant de l’avant les djs, multiplie les partenariats avec d’autres promoteurs de la scène locale et travaille à faire revivre ces soirées dès que les beaux jours reviennent.
Alors oui, la pandémie a été très dure pour ces deux collectifs – ils me l’ont répété – mais ce qui ressort de mes discussions c’est que dès lors que la passion est gratuite et que le collectif est soudé, les difficultés sont surmontables et la créativité toujours au rendez-vous. Pour Félix : « La beauté de Moonshine, c’est que c’est un projet de cœur pour nous tous, sans ambition autre que de faire ce qu’on aime – c’est ce qui fait que le projet tient. » Bérénice mentionne qu’au-delà du collectif à l’intérieur duquel chacun a grandi personnellement, c’est la communauté derrière qui « nous donne la motivation de continuer dans ce sens. On est devenu la référence pour les soirées techno à Montréal, on a aussi réussi à développer une concurrence bienveillante dans le milieu de la nuit. » Le mot collectif prend alors tout son sens, au-delà même de la création, c’est aussi la solidarité entre artistes, organisateurs et public. Le collectif face à l’adversité.
La danse revient et mes mœurs se sont déjà adoucis grâce à ces personnes inspirantes qui ne lâchent rien. L’espoir de la culture vit en ces artistes et entrepreneurs culturels qui ont à cœur de transformer des situations difficiles en perspectives innovantes. Les pouvoirs publics devraient avoir pour mission de reconnaitre leurs travails à la hauteur de leurs ambitions afin d’éviter de brûler les talents d’aujourd’hui qui dessinent la culture de demain.

 

Ressources :
OCTOV – https://octov.ca/
Faire vivre la culture rave techno européenne, peu présente dans la scène montréalaise, lors de soirées où se mêlent expérience, visuelle et sonore, invitant VJ et DJs locaux et internationaux.
Cadavre Exquis Volume 1 : SoundCloud
Moonshine – https://moonshine.mu/
Album multi-artiste: SMS for Location – Vol.4
Moonshine Airways – Ep.1 Marseille et Ep.2 Lisbonne disponibles sur Balados, Spotify, NTS.live
Boiler Room – Restart System

Pierre Kwenders et l’héritage de Papa Wemba