La trousse de l’indé pour réussir

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Être artiste indépendant peut s’avérer un challenge. S’entourer alors des bonnes personnes est crucial. On a donc discuté avec Amélie Tintin pour déterminer les outils et les erreurs à éviter afin de mettre toutes les chances de son côté en tant qu’indé.

Véritable couteau suisse, Amélie est une stratège qui accompagne les artistes dans leur développement artistique et commercial au niveau local comme international. Depuis une quinzaine d’années, elle a travaillé avec des artistes afro, rap. Elle a également organisé des événements tels que des festivals de hip-hop dans les Caraïbes et en France.
QCLTUR: Par quoi commence-t-on quand on est indé?
Amélie: Ce qui est vraiment important est de définir ses objectifs. Tous les artistes n’ont pas la même vision de carrière. Certains veulent être sur scène, d’autres veulent simplement partager leur art. Il s’agit simplement d’apprendre à se connaître. Il faut définir une base et choisir son but, sa destination. Où est-ce que je veux aller, qu’est-ce que je veux être, et enfin comment est-ce que je veux y arriver? Donc, en fait, la vision et les objectifs. On fait une pause. Ça nous permet de ne pas nous épuiser et cela permet de ne pas aller dans n’importe quelle direction. Mais ce n’est pas quelque chose fixe. 
C’est tout à fait honnête de se poser cette question parce qu’on a le droit d’avoir peur de la réussite et on a aussi le droit d’avoir envie d’atteindre quelque chose. C’est beaucoup d’introspection mais ça évitera de tourner en rond. Cela guidera le processus créatif.
Ça va te permettre de savoir quel type de public tu vas avoir. Ça va te permettre de savoir ce qui va pouvoir influencer tes choix créatifs. En tout cas, ça va simplifier énormément de choses. Cela évite de s’étonner finalement d’où on se trouve, quel type de public on a attiré, dans quel type de soirée on se retrouve programmé.
QCLTUR: Quelles sont les priorités?
Amélie: En fait, c’est comme des choix de vie. C’est d’abord d’être bien avec soi-même. Qu’est-ce que je veux ressentir finalement aussi quand je suis sur scène? Ce n’est pas juste une question de style musical. C’est plus qu’est-ce que je veux faire vivre dans mon art. Est-ce que je veux faire vivre mes souffrances, mes haines, mes joies, mes douleurs? Ai-je envie de me servir de qui je suis ou alors est-ce que je crée un alter ego? S’il le faut, tu prends un papier, un crayon ou tu fais l’exercice dans ta tête. Ça va aussi te permettre de savoir est-ce que jusqu’à présent, ce que j’ai fait me permet d’arriver là où je veux ou alors est-ce que je dois tout revoir? Tout ça va te permettre aussi de savoir est-ce que les personnes qui m’entourent actuellement sont les bonnes pour là où je veux être. L’artiste n’est pas juste une personne créée de toutes pièces pour pouvoir exprimer des choses. C’est d’abord une personne.
Ça peut ressembler à une espèce de séance de thérapie. Plus on apprend à se connaître, plus on se maîtrise, plus les choses aussi qui se dessinent pour nous deviennent un peu plus claires et nos objectifs changent. C’est une base à toujours ramener sur la table parce qu’au final, ça va vraiment guider tes choix.  Ça va aussi t’empêcher de tomber dans ce que j’appelle souvent la redondance artistique parce que pour moi beaucoup d’artistes en fait sont très redondants. L’une des choses que je retrouve le plus souvent chez les artistes, c’est leur insatisfaction. Ils se sentent incompris parce que les gens avec qui ils travaillent, n’ont pas forcément des objectifs similaires.
QCLTUR: C’est quoi les premiers réflexes à avoir?
Amélie: Une fois cette étape passée, c’est de se lancer. Finalement, d’y aller, c’est-à-dire d’ouvrir son réseau. J’ai tendance à croire que lorsque tu as défini au mieux ton objectif, les conversations que tu auras après quand tu vas commencer à construire ton réseau vont être différentes. Elles vont t’apporter des réponses beaucoup plus claires. Tu vas dans des événements, des 5 à 7. Il y en a pas mal ici. Des moments de rencontres que la SOCAN va organiser, que l’APEM va organiser, que même la Fondation Dynastie et Advance Music commencent à faire aussi. Ces événements-là vont te permettre de construire ton réseau, te rapprocher de plus en plus de personnes qui vont finalement au même endroit que toi. Ça simplifie pas mal de choses: ton avancement, tes réflexions et tout le travail qui va se développer ensuite.
Finalement la construction de ce que les gens aiment bien appeler le branding de l’artiste. Je ne suis pas forcément une fan du côté branding de l’artiste parce qu’on a l’impression que c’est comme un produit. J’adore l’idée qu’un artiste soit libre d’être qui il a envie d’être. Et on revient, tu sais, à la base. Je veux dire, quand tu définis qui tu veux être, finalement, tu peux être qui tu as envie et tu peux être plein de choses. Je dirais que je laisse ça aux équipes avec qui tu te construis, qui elles s’adaptent à l’artiste qui est en train d’évoluer devant elles, mais avec qui vous avez déjà défini les objectifs de façon claire. J’aime bien quand l’artiste se retire de cette espèce de partie-là parce que, comme je te dis, il faut laisser l’artiste dans sa fluidité créative, dans sa folie. Et puis, finalement, comment tu vas commencer à interagir aussi sur les réseaux ou avec ton audience? Qu’est-ce qui va pouvoir être fait? Elle, ça va lui simplifier aussi beaucoup la tâche, parce que ça va lui permettre de savoir, OK, demain, on lui propose des événements. Ou bien elle va se dire, non, en fait, lui, il n’a pas envie de faire ça. Ce n’est pas le bon moment. La clarification, dans l’époque où on est, est hyper nécessaire.
Je crois aussi que pas mal d’artistes ont peur. Ils ont peur de faire confiance aux gens qui les entourent. Il y a beaucoup de craintes dans notre industrie. Il y a un moment où il faut apprendre à se faire confiance. Si l’objectif est clair, si là où on veut aller, on y va ensemble et on sait ce qu’on veut faire, ça peut aussi simplifier de savoir comment on est entouré et de savoir quelle confiance on fait aux gens qui nous entourent dans leurs choix qui font pour nous.Il y a une nécessité de s’entourer, de ne pas négliger d’être entouré. Être indépendant, c’est bien, mais être indépendant ne veut pas dire être seul. 
Être indépendant, ça veut juste dire que c’est un cheminement que l’on fait comme un entrepreneur qui est en train de construire pas juste son marché, mais son entreprise.
QCLTUR: Est-ce que tu as des gens à référer ou des sites pour aller chercher de l’information? Quelle est la première personne qu’on embauche quand on est artiste indé?
Amélie: C’est une très bonne question. Je ne sais pas si le bon terme pour moi serait d’embaucher. J’aurais tendance à croire que pour un artiste-interprète, l’une des premières personnes qui serait intéressante pour lui de trouver, c’est finalement son producer, son réalisateur, son directeur artistique, la personne avec qui il va pouvoir façonner sa musique. Ça peut être aussi la même chose pour un producer. Les producers, souvent, travaillent avec beaucoup de personnes. Ce que j’ai vu et ce que j’ai constaté, c’est qu’ils se développent beaucoup plus et qu’ils avancent de façon beaucoup plus intéressante, même dans leur identité créative et artistique, quand finalement, ils commencent à travailler avec un artiste.
C’est sympa en fait d’être dans un environnement où t’es en confiance. Ça te libère aussi, plutôt que d’aller taper Type Beat, Drake, ou J-Cole sur les réseaux, sur YouTube. D’ailleurs, tu peux le trouver aussi comme ça, l’artiste avec qui tu veux travailler, en vrai.
J’ai déjà rencontré pas mal de personnes qui n’osent pas se parler. Mais utilisez vos réseaux. Les réseaux, ce n’est pas juste pour draguer mais aussi pour pouvoir rencontrer des personnes qui nous ressemblent et avec qui on va avoir un intérêt et des interactions enrichissantes.
 La deuxième personne qui pour moi serait intéressante lorsque l’on comprend que l’on veut définir quelque chose de professionnel, et là encore, parce que quand tu t’es défini dans tes objectifs, t’as le droit de vouloir rester dans cette espèce de pratique que l’on pourrait penser amateur, qui est professionnelle selon moi, mais que l’on pourrait penser amateur parce qu’il y a quelque chose qu’on n’a pas envie de dépasser, tu vois ? Mais en tout cas, quand tu veux commencer à aller plus loin, aller chercher son manager. Ça peut être intéressant. Et pour ça, tu peux te rapprocher de la structure de management, MMF Canada. Cette structure regroupe un grand nombre de managers. Moi-même, je suis membre. T’en trouves plein. Tu peux les contacter, tout simplement, parce que c’est une équipe super géniale et qui répond. Ils organisent souvent des ateliers en ligne, des petites formations. Parfois c’est gratuit, parfois c’est payant. Mais ce n’est pas aussi cher que ça. En tout cas, tu peux les contacter, puis leur dire, écoute, moi je cherche à me rapprocher d’un manager. Tu peux aussi contacter Advance Music.
Ils peuvent te donner des noms, te soumettre des propositions, des personnes, ou en tout cas des structures qui pourront te guider un peu plus. Il y a l’AMUQ, plus accès musique urbaine. Au sein de leurs membres, ils ont des personnes qui s’occupent de ça. L’un des conseils aussi que je veux donner aux artistes indépendants, parce que c’est l’une des erreurs que je trouve qu’ils font beaucoup, c’est qu’ils ne budgètent pas. Il n’y a pas besoin d’être comptable pour ça. Par contre, il y a besoin d’avoir une réflexion financière et de commencer à réfléchir « ok, mais ma carrière artistique, elle me coûte combien? Elle me rapporte aussi combien? Comment est-ce que je peux mieux planifier mes dépenses? Les gens n’ont pas conscience de ce que leur coûte l’investissement sur leur carrière.
Les gens peuvent me contacter, en fait, quand ils ont la volonté d’essayer de comprendre un petit peu comment ils peuvent y penser. Un budget simple, cela va comprendre les sessions studio par exemple. D’ailleurs même si elles sont gratuites, il est bon de donner une valeur financière à chaque chose que l’on dépense pour sa carrière artistique, même si elles nous sont fournies bénévolement. Objectivement, on doit savoir ce que nous coûte notre investissement sur notre carrière. Avoir une valeur sur les choses, c’est important. Le studio où j’enregistre. Certains vont prendre quelques heures de studio avec des ingés.
Des communications, des fois, que l’on trouve, qui ne coûtent pas trop cher. C’est-à-dire, je vais investir sur une publicité Instagram ou des choses comme ça. Mais ça me coûte combien ? Et d’avoir une vision claire de son budget par projet, par morceau ou à l’année, nous permet de savoir combien on a investi et aussi combien on a gagné. Si ce n’est pas équilibré, il faut trouver un moyen pour que ce le soit. Et donc, il va falloir redéfinir les choses. Et ça nous permet aussi de planifier la nouvelle année qui commence. L’année qui arrive. On revient à la première question: c’est quoi mon objectif.
Toute entreprise qui, pendant ses 2, 3 premières années, n’est qu’en perte, elle ne peut pas survivre. C’est une réalité. Mais les artistes ne réfléchissent pas comme des entreprises, même si ça doit se penser un peu plus sur le long terme, parce qu’établir une carrière, c’est un peu plus difficile que de lancer un produit ou une supérette.
Cela conscientise. En fait, dans tes arguments aussi, demain, si tu te retrouves à devoir discuter avec des investisseurs. Ça te permet d’avoir une solidité sur ta réflexion et ne pas être aveuglé par des chiffres.
On est vite aveuglé par les chiffres parce qu’on croit que c’est gros. Quand on dépense 50 000 à l’année, ça ne vaut rien 30 000. Tu vois ce que je veux dire ? Donc, quand t’as fait cette évaluation financière, t’as commencé à te penser financièrement, tes discussions aussi sont différentes.
Puis je te dirais peut-être aussi qu’un des derniers trucs est la gestion de sa voix. Prendre des cours de chant, c’est utile. Des artistes qui perdent leur voix après leur premier show, j’en connais aussi pas mal parce qu’ils n’étaient pas assez préparés. La voix, c’est un muscle. Tu vas faire 100 pompes sans être prête, ça va te faire mal le lendemain. Tu sais très bien que si, là, tu dois faire le marathon de Paris demain ou le marathon de New York, tu ne vas pas y aller sans t’échauffer, sans être prêt.
Cette analogie est vraiment importante parce que c’est la même chose pour un artiste avec sa voix. Préparer sa voix est crucial, avoir des techniques pour la chauffer. Les techniques, ce n’est pas de se boire un verre de whisky. C’est un sport être efficace sur scène. Je ne suis pas là pour te dire arrête de fumer,… Ce n’est pas ça. Je n’en viens pas là. Mais lorsque tu as fait au moins peut-être un petit investissement avec un prof de chant, avec quelqu’un qui va t’apprendre à gérer ta voix, tu sais aussi comment tu cries dans un micro. Ne pas avoir peur d’investir sur son développement de compétences.
Se former sur l’essentiel, l’édition,… Ça ne peut pas faire de mal de comprendre dans quelle industrie tu évolues, comment l’industrie évolue. Là encore, ça va beaucoup t’aider à ne pas vivre sur des fantasmes. C’est nécessaire actuellement au Québec pour que l’industrie se diversifie, soit plus ouverte. Mais on ne peut pas juste se cacher et se plaindre, en fait, de ce que l’industrie fait ou ne fait pas, quand on ne sait pas. Parce que si on ne sait pas, on pourra toujours vivre sur des fantasmes et sur des idées reçues qui datent d’il y a 10 ans parfois.
En résumé, allez-y. Et vous pouvez le faire en étant fidèle à votre vision, à vos valeurs artistiques, à vos valeurs personnelles aussi. Mais prenez votre place indé en toute conscience. Et de commencer par ces petits points qu’on a énumérés ensemble, je pense que ça prépare pour quelque chose de grand.

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