« Je t’aime, moi non plus », la musique et moi en temps de COVID

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Rubrique – La QCLTUR et moi

« Je t’aime, moi non plus », la musique et moi en temps de COVID

— 2020-2021, Montréal


Du lit au bureau, du bureau au divan, du divan au lit …

Voilà l’espace restreint qu’accompagne la musique dans mon quotidien. L’espace mental que je lui consacre s’est lui aussi réduit d’ailleurs… Comme quoi la musique seule ne suffit plus à combler mon besoin d’évasion. Elle est comme une partenaire de vie. Plus l’espace entre nous se réduit, plus l’envie d’être accompagné l’une de l’autre diminue. Et plus notre relation se détériore.
Alors oui, la musique a un effet libérateur. L’atmosphère qu’elle installe dans nos oreilles peut nous enlever d’un poids. Nous faire sentir plus légers le temps d’un instant. En réalité, on attend d’elle qu’elle remplisse une fonction précise au moment de l’écoute. En comblant un vide parfois, en changeant une humeur d’autre fois, en nous évadant de notre réalité souvent, amenant avec elle joie ou mélancolie. La musique nous accompagne pour nous faire ressentir plus intensément une émotion qu’elle nous permet d’exorciser.

Oui mais voilà.

Au printemps 2020, ces effets bénéfiques sont devenus d’autant plus indispensables qu’ils en sont devenus presque inexistants. Je me suis surprise à ne l’avoir même plus sollicité, la musique, elle qui d’habitude m’accompagne au quotidien dans mes joies les plus intenses et dans mes peines profondes. Les défis auxquels j’avais à faire face, comme toutes les personnes affectées par la crise sanitaire, étaient nouveaux et d’autant plus grands que mes attentes envers la musique et sa fonction réparatrice étaient elles aussi très hautes. J’exigeais qu’elle m’apporte exactement le réconfort dont j’avais besoin sur un plateau. Qu’elle sache tout de suite comment m’amener de la légèreté pour traverser ces journées devenues moroses subitement. Je n’avais plus d’efforts à lui consacrer car je n’avais plus cette énergie… Les découvertes me lassaient. Les suggestions de Spotify étaient à côté de la plaque. Mes envies musicales ne venaient plus naturellement. La prise de conscience que j’avais perdu le goût si prononcé d’habitude d’écouter des nouveautés ou de me replonger dans mes vinyles m’a fait peur. Suis-je en train d’éteindre le feu qui m’anime depuis des années ? Par extenso, suis-je en train de perdre une partie de moi-même car j’ai consacré mon métier à travailler en musique ?
Après quelques semaines à broyer du noir, un ressaisissement était de mise et une prise de recul nécessaire. Le bouleversement de nos habitudes avait déclenché un changement brutal du quotidien ce qui me forçait à repenser la place que la musique allait prendre dans cette nouvelle routine. De fait, l’arrêt soudain des concerts et des festivals pour une durée finalement plus indéterminée qu’on ne pensait avait provoqué une perte de sens dans mon travail. Une perte amplifiée par ce constat terrible que j’avais perdu le goût d’écouter de la musique. Si la musique donnait un sens à mon existence, quoi faire quand mon lien avec elle est rompu ? Réponse: ne pas paniquer ! Après quelques semaines de rares écoutes (playlist New Music Friday et playlist de Radio Nova à la qualité indéniable contre vents et marées), je me suis rendue compte que

 

j’étais à la recherche de quelque chose de rassurant, quelque chose qui me rappelait pourquoi la musique était ma plus fidèle alliée depuis mon adolescence.

 

Quelque chose qui me ramenait à mes racines, à ce pourquoi j’étais si effrayée d’avoir perdue l’envie de me plonger dans une chanson.
Alors, je me suis pliée au jeu qui circulait à ce moment-là sur Facebook qui consistait à dresser la liste des 10 albums qui ont marqué nos vies. Certains me sont rapidement venus à l’esprit. Mezzanine de Massive Attack, Dummy de Portishead ou encore Nevermind de Nirvana. Puis, plus rien. Blocage. Pas de panique encore une fois, il fallait tenter de faire ressurgir les racines de mon identité musicale. Quoi de mieux pour réactiver des souvenirs que d’appeler sa mère? Surtout quand tes reliques d’ado sont flanquées à 6000 km de toi. Et sur un autre continent qui plus est ? Sans me demander d’explications, ma mère s‘est exécutée à m’envoyer des photos des albums qui étaient empilés sur une étagère de ma chambre. Ma mémoire qui semblait éteinte alors même que je me souvenais avoir dévoré une quantité astronomique d’albums à cette période de ma vie, soudainement s’est rafraichie ! Certaines belles surprises me sont alors revenues à l’esprit comme Welcome to the cruel world de Ben Harper. Puis une ribambelle d’albums m’a sauté aux yeux! Dépassant largement les 10 albums en question demandés par la communauté Facebook – Back to Black d’Amy Winehouse, Babylon By Bus (live) de Bob Marley, Strange Days des Doors, tous les albums de Jimi Hendrix, tous les albums de Morcheeba, Supreme NTM du duo rap de Saint-Denis, Tragic Kingdom de No Doubt, Lady Soul d’Aretha Franklin, le live de 1,2,3 Soleil, Demon Days de Gorillaz puis plus récemment des albums génialement produits que j’ai écoutés de façon obsessionnelle comme 99% de Kaytranada, Starboy de The Weeknd, l’album éponyme de Flume, La Fête est finie d’Orelsan, Black Sands de Bonobo, Isolation de Kali Uchis, Ipseité et Lithopédion de Damso, Malamente (Cap:1 Augurio) de ROSALIA, tous les albums de PNL, African Giant de Burna BoyBref, impossible de choisir : me voilà rassurée !

 

Désormais reconnectée à mes racines musicales, je reconstruis tranquillement ma relation fragilisée avec la musique.

 

En parcourant la liste de tous ces artistes, une évidence me frappe : où est le reggae pourtant si présent dans mes souvenirs ? Toute mon adolescence a été bercée par la musique jamaïcaine et ses dérivés français, anglais et italien lors d’après-midi peu productifs mais musicalement riches à écumer avec mes meilleures amies les sons de Sly and Robbie, The Gladiators,  Alborosie, Damian Marley, Burning Spears, Biga Ranx, Hollie Cook et bien d’autres ! Le reggae est la bande sonore de mes soirées-lycée et de mes étés sur la route avec mes potes. Ce genre musical a teinté la couleur musicale de mes premiers festivals, à la fois comme public et comme bénévole. Il a dévoilé un champ des possibles dans la tête rêveuse d’une jeune adulte forte de ses valeurs de solidarité. Je me suis alors replongée dans les playlists reggae proposées par Spotify pour réentendre les voix familières et très singulières de Jah Cure ou de Lee Scratch Perry qui m’ont permis de faire le lien entre hier et aujourd’hui.

 

Le reggae a alors réussi à me ramener ce qui me manquait: un peu de légèreté. Et petit à petit, ma relation avec la musique est redevenue plus saine au début de l’été.

 

L’envie de redécouvrir des artistes est revenue. J’ai pris le temps de réécouter des albums au complet juste pour m’accorder ce temps-là.  Le tout bien au chaud sur le divan qui, quelques jours plus tôt encore, me sortait par les yeux à force de le côtoyer toute la journée. Cette pause forcée m’a permis un recul nécessaire pour repartir sur de bonnes bases avec celle qui a finalement été ma première compagne de vie. Je sais qu’on ne se quittera jamais vraiment même si parfois nos chemins semblent se séparer. Notre dynamique était devenue trop machinale après ces années passées à bosser ensemble, à ne plus dissocier si elle faisait partie de mon travail ou de mes loisirs … J’avais commencé à perdre ce pourquoi le travail de programmatrice musicale m’avait attirée au départ et cela avant-même la survenue de la crise sanitaire. Celle-ci n’a en réalité qu’exacerbé un fossé qui commençait déjà à se creuser entre nous.

 

Et comme un couple qui traverse une mauvaise passe, j’ai eu besoin de retourner à mes fondamentaux pour retrouver mon essence. Être capable ensuite de m’ouvrir à l’autre, à la nouveauté.

 

L’album Sixteen Oceans de Four Tet a été un baume. Je me souviens encore de la longue marche le long de l’avenue du Parc une fin d’après-midi ensoleillée, Four Tet m’a permis de pouvoir rêver à nouveau à un meilleur lendemain. Puis il y a eu It is what it is de Thundercat qui m’a donné l’impulsion de partager mes rêves avec d’autres. Et l’année s’est enchainée avec ses lots de hauts et de bas mais les artistes étaient toujours au rendez-vous … 1984 de Gashi que j’ai chanté à en perdre ma voix en auto sur les routes du Québec, Lowkey Superstar de Kari Faux qui m’a accompagné en arpentant le Mont-Royal bien stone à vivre toute la puissance de cette rappeuse à chacun de mes pas, puis d’autres albums que j’ai pris plaisir à écouter en entier plus d’une fois et grâce à qui j’ai traversé l’année d’une plus belle façon: Solaris de Shay Lia, We will always love you de The Avalanches, Suddenly de Caribou, QALF de Damso, Man on the Moon III de Kid Cudi… Encore une fois, la liste est longue.
Je pensais terminer cet article en 2020 mais long est le chemin du retour « à la normale »  et je me vois rédiger ce dernier paragraphe plus d’un an après le début de la crise. Malgré tout, les artistes continuent de créer, je continue de programmer des événements que j’espère de moins en moins lointains et de plus en plus probables. Entamer cette thérapie musicale a permis de consolider mes bases et développer.

 

un nouveau mantra:  ne plus consommer de la musique mais écouter une proposition artistique.

 

Et en attendant de te retrouver dans une salle de spectacles ou en plein air, et de partager avec des inconnus des émotions que toi seule sait me procurer, je continue à entretenir cette relation intime avec toi entre les murs de mon appartement …

Crédits Photo: Dramatikavecuncas, IGPlab

 

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