Un dictionnaire qui fait parler

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STRAIGHT DU PUPITRE D’UNE CHILLEUSE:

Le Dictionnaire du chilleur, signé par Jérôme 50, auteur-interprète et linguiste, se présente comme un hommage au langage des jeunes Québécois. C’est une collection de 4000 mots et expressions qui cherche à capturer le « parler des chilleurs » entendu outside, dans les parcs, les bars, ou encore au stu’, — adopté par des « personnes au mode de vie détendu et nonchalant, souvent associée à la recherche de plaisir, de liberté, de consommation d’alcool et de drogues, et de divertissement. », selon l’auteur. Mais derrière ce projet de cinq ans, publié par Interforum Canada et soutenu par Le Robert, une question s’impose: est-ce que ce dictionnaire célèbre vraiment l’évolution d’un français vibrant et populaire, ou transforme-t’il ces slangs forgés dans l’expérience unique d’un Québec pluriel, en objet commercial?

 

Un vocabulaire qui émerge des quatre coins de Montréal

Une grande partie des mots rassemblés dans Le Dictionnaire du chilleur forment un nouveau français tissé, entre autres, de créole haïtien, d’arabe et de culture américaine, reflet des identités enracinées dans le quotidien montréalais. Ceux qui l’emploie savent que c’est un vocabulaire complexe qui évolue constamment, spit par des jeunes et des plus vieux, de Montréal-Est à Verdun, de Lasalle à Saint-Léonard, en passant par Pierrefonds, Ahuntsic, Villeray et Downtown. On y retrouve des mots comme « manig », « bèl eat » ou « moula » qui appartiennent à une culture enracinée dans des expériences diversifiées et uniques, très souvent invisibles pour ceux qui ne sont pas about that life. Par exemple, des mots comme  « flobó », « max » ou « heroes » révèlent immédiatement le coin et même la génération de la personne qui les emploie. C’est une manière de se reconnaître, de tisser des liens d’appartenance. Sans le contexte, il perd toute sa profondeur et sa signification.

 

Le hip-hop comme tremplin

Depuis les années 90, le hip-hop a joué un rôle clé dans l’évolution de la langue française au Québec, injectant des expressions nouvelles et réinventant le vocabulaire. Dubmatique a ouvert la voie en popularisant le rap québécois sur la scène commerciale; puis Sans Pression et Muzion ont marqué les esprits avec des récits de résilience et d’identité, mélangeant créole, français et anglicismes, reflet des réalités multiculturelles de Montréal. 
Enfin, Roi Heenok, figure iconique, a imposé son style — , devenant un personnage légendaire et un pilier de cette culture. Aujourd’hui, de nombreux artistes et collectifs perpétuent cet héritage en créant et popularisant des expressions qui illustrent l’impact du hip-hop sur la culture québécoise. En remplissant des salles de concert et en influençant les jeunes, même au-delà des frontières, ces artistes montrent que cette langue est bien plus qu’un style; elle est un moyen de revendication et de représentation identitaire. Pourtant, malgré cette influence majeure, la reconnaissance institutionnelle de cette forme d’expression artistique se fait lente. À part quelques références aux chansons de ces artistes, l’ouvrage néglige le rôle crucial du hip-hop dans l’évolution du français et rend un hommage incomplet, privant cette culture de sa pleine expression et de son véritable impact sur le paysage linguistique québécois.

 

Legit pour qui?

Alors, qui profite de cette initiative? Si ce dictionnaire documente des mots, il prive aussi leurs créateurs d’un certain contrôle sur leurs propres codes. Ces expressions, longtemps stigmatisées, risquent maintenant d’être décontextualisées et vidées de leur sens d’origine, malgré le travail de terrain qui dit avoir été fait. Le Dictionnaire du chilleur, en générant des revenus pour ses éditeurs, soulève aussi la question de l’appropriation où les bénéfices échappent aux communautés d’origine. Destiné à un public éloigné de ces réalités, il laisse entendre que ce vocabulaire peut être exploité et monétisé sans inclure les contributeurs de cette culture, ni leur offrir reconnaissance ou profit.

 

Préserver la QCLTUR au lieu de l’expose

Le Dictionnaire du chilleur, selon Jérôme, est né d’une démarche passionnée, mais il passe à côté de l’essentiel: en minimisant ce langage à des stéréotypes et à des termes majoritairement péjoratifs, il expose sans vraiment préserver la richesse et la diversité des cultures qui l’ont façonné. Ces codes sont un understanding, une manière d’être, un lifestyle, un rappel d’où l’on vient, un safe space pour se reconnaître et se retrouver. En les réduisant à une vision simpliste, le dictionnaire fige une culture vivante et perd de vue tout ce qui fait de cette langue bien plus qu’un simple jargon.
It’s giving soumoun, if you ask me. 

 

Les sorties de la rentrée

 

Crédits photos: Radio Canada/Nora Chabib
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